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sabina swiss shoutout : avec Swiss Typefaces, la typographie suisse continue de rayonner à l’international.

08.12.2020 12:40

Dans le discours populaire, la Suisse fait souvent l’objet d’allusions à une certaine lenteur, à un manque d’initiative et à une propension à suivre innocemment le travail de ses voisins. Que ses frontières, aussi étroites soient-elles, empêchaient ses résidents d’y être inspirés, encore moins d’y être inspirants. Par la présentation de contre-exemples aussi notables que divers, nous avons souhaité mettre à mal, par le biais d’une série d’articles, des stéréotypes qui restent installés même dans un monde digital exempt de démarcations territoriales. Ceci, en vous offrant la possibilité de découvrir ou de redécouvrir certains dignes héritiers du « style suisse », presque 70 ans après que celui-ci ait conquis les plus grandes capitales européennes et mondiales, avec ses logos et ses polices de caractères si reconnaissables, emplis de Nouvelle Vague et de Pop art notamment. À raison de quelques lignes par mois, nous mettrons  alors en lumière celleux qui font de la scène artistique helvétique ce qu’elle est en 2020, à savoir un savant mélange d’héritage dans un pays de graphisme et d’innovations se nourrissant des apports culturels d’une mixité qui fait aujourd’hui la richesse créative de la Suisse.

Notre pays regorgeant aujourd’hui’hui de talents dans les sphères alternatives et artistiques, c’est que notre système de formation publique invite encore souvent – contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres pays parfois limitrophes – des étudiants issus de toutes les couches sociales à se former et à se développer dans un cadre de qualité (et d’égalité ?), en suivant les traces des quelques Max Miedinger, Adrian Frutiger ou encore Josef Müller-Brockmann, initiateurs parmi tant d’autres de ce courant aussi connu sous le nom de « style typographique international ». Reconnaissable au premier coup d’oeil, il véhicule précision, fluidité, fonctionnalité, des caractéristiques qui lui ont permis de s’imposer au delà de ses frontières et qui, comme son nom l’indique, séduit de Istanbul jusqu’à Hong-Kong, en passant par Paris. Des logos et surtout des fontes apportant une vision parfois froide du réel, qui ont pour but de délivrer, grâce à un sens du détail prononcé, une information avec justesse. L’incontournable Helvetica en demeure encore aujourd’hui le symbole, avec ses traits si purs, universels, qu’ils font briller depuis plus d’un demi-siècle aussi bien le métro new-yorkais que des marques telles que McDonalds, Tupperware ou même Evian.

Avant de parler au présent, rappelons encore que le style suisse n’a pas toujours fait l’unanimité. Il a ainsi connu un déclin dans les années 70, certains le jugeant trop sévère, d’autres comprenant qu’une tendance de cette ampleur suscite inévitablement lassitude et oppositions. Plusieurs décennies plus tard, il semble reprendre ses droits, profitant notamment d’une abondance de styles ayant fait leur apparition ces dix voire vingts dernières années, des suites de l’avènement du digital et de ses innombrables comme très accessibles possibilités. Un paysage créatif plus libre, plus dense et parfois plus extravagant, pour le meilleur comme pour le pire, nous a rappelé que les applications fonctionnelles et l’élégance intrinsèque du « style suisse » avaient encore beaucoup à offrir. Longtemps localisé entre Zürich et Bâle, le noyau dur du mouvement se situe désormais aux alentours de Lausanne, où l’ECAL dispense depuis le début des années 2000, et sous la supervision de François Rappo, des cours exclusivement dédiés au dessin typographique, qui voient pléthore de jeunes talents éclore et perfusionner de sang frais le style de tout un pays.

C’est de descendants directs de ce renouveau prenant son essor en Suisse romande qu’il est ainsi question dans ce premier volet de sabina swiss shoutout. Basés sur la Riviera, c’est à Vevey précisément, que les créateurs de la « Suisse Int’l », police de caractères que nous avons choisie pour l’ensemble de notre charte graphique inaugurée en 2018, ne cessent de se développer depuis plus d’une dizaine d’années maintenant. Si Ian Party, l’un des deux co-fondateurs du studio, a récemment quitté le navire pour se consacrer à son projet Newglyph (qui fera certainement l’objet d’un futur article sur ce blog), Emmanuel Rey continue de s’atteler à la tâche, toujours assisté d’un certain Maxime Plescia Buschi, second co-fondateur de Swisstype Faces et artiste-entrepreneur doté d’un CV qui suffirait à alimenter nos pages plusieurs mois durant. Pour fuir le complexes, on ne citera ici et pour ce dernier, que quelques collaborations avec Hublot et l’ouverture de plusieurs salons de tatouage au succès planétaire. Le Suisse frustré ironisant sur le présupposé faible retentissement des créations helvétiques à l’étranger jugera ceci acceptable.

Avec aujourd’hui dans leur catalogue plus d’une dizaine de familles de fonts, l’entreprise revendique une approche aussi bien esthétique que technologique, et s’applique à constamment innover et à chasser l’ennui, en conservant l’héritage et le style d’un pays qui a fabriqué parmi les plus grands typographes du XXème siècle. Dans leur offre on retrouve bien entendu la Suisse Int’l, pouvant être perçue comme étant la progéniture, la modernisation, l’évolution de la célebrissimme Helvetica, pendant que leur étals digitaux laissent se démarquer bon nombre de styles plus difficiles à catégoriser, plus expérimentaux. C’est certainement cette frange de leur travail qui leur vaut aujourd’hui leur réputation mondiale, puisque c’est cette ouverture sur le monde, cette curiosité, et ces innombrables influences (musique, street culture, mode, tatouage, beaux-arts, etc…), couplée à des décennies de finesse, qui symbolisent finalement si bien la Suisse d’aujourd’hui et justifient le plein essor de tout un mouvement artistique que les hautes écoles, studios créatifs et autres collectifs, pouvant compter sur des membres toujours plus curieux et investis, ne font qu’alimenter.

En 2020, les designs signés Swisstype Faces s’exportent sur des affiches, des montres, des avions ou des vêtements. Emploi du temps chargé, ils participent le lundi à la sortie d’une collection textile, le jeudi mettent à jour une fonte avec l’arrivée d’une version en cyrillique, avant de participer, le dimanche, au développement du clip d’un rappeur de leur ville. Un gage de crédibilité mondiale d’un côté, la preuve d’un travail éclectique et pluridisciplinaire de l’autre, pour nos compatriotes devenus en quelques années seulement de véritables inspirations pour les artistes de nos contrées. Le choix pour notre identité corporate, d’une typographie de leur production, nous était alors apparu comme une évidence, puisqu’au-delà de l’admiration que nous leur portons, l’un de nos graphic designers ayant pris part au projet était diplômé de l’ECAL et avait ainsi eu, dans le cadre de son cursus, l’opportunité d’évoluer aux côtés des fondateurs de Swisstype Faces qui interviennent ou enseignent régulièrement dans ce même établissement régulièrement classé parmi les 10 meilleures écoles d’art et de design au monde. Notre équipe, dont la directrice artistique Sabine Blunier est elle-même issue de l’École des Beaux-Arts de Lausanne (actuelle ECAL), partageait avec les Veveysans ces valeurs saines, oscillant entre un conservatisme assumé et une vision ô combien perméable aux évolutions sociétales, artistiques et technologiques. 

Voilà deux ans que nous avons fait le choix d’afficher la Suisse Int’l sur notre logo, sur notre site web, sur nos courriers ou sur nos créations digitales. Qu’en dire à l’aube d’une nouvelle année, si ce n’est que ce choix n’a pour l’heure jamais fait l’objet d’un seul doute, d’une seule critique, aussi bien au sein de notre open space qu’une fois l’Avenue du Mont-d’Or passée, dans ce grand bain d’anxiété, de ras-le-bol et de remise en question que la COVID a créé. C’est certainement bon signe.

J. Lin